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Avec l’exposition « Connecter les mondes », le Musée des beaux-arts de Lyon revoit son modèle européocentré

Le musée est une invention européenne : un lieu où des collections sont conservées et exposées au public. Depuis 1801 et le décret créant quinze musées en France sur le modèle du Louvre, ce principe s’est amplifié et généralisé, jusqu’au gigantisme de quelques institutions. Il n’est remis en cause que depuis peu de temps, à travers des démarches critiques traitées de « wokisme », comme s’il s’agissait d’une insulte, par celles et ceux qui veulent les faire taire.
Le Musée des beaux-arts de Lyon est de ceux fondés en 1801. Il s’est d’autant plus enrichi qu’il a bénéficié de la prospérité industrielle de la ville et, donc, d’abondants et précieux dons de pièces venues d’à peu près toutes les régions du monde. Il n’en est que mieux placé pour engager une réflexion critique sur la notion même de musée. L’exposition « Connecter les mondes » en est la première manifestation. Sa méthode est simple : prendre presque exclusivement dans ses collections et un peu dans celles du Musée d’art contemporain de Lyon de quoi composer un accrochage qui rompe avec les habitudes.
Deux d’entre elles sont particulièrement contrariées. Celle qui consiste à considérer comme une évidence que les cultures européennes sont l’essentiel du récit universel et celle, inséparable de la première, qui tient pour acquis que les civilisations du « reste du monde », comme on disait jadis, ont bénéficié de leur rayonnement, heureux satellites de ce soleil. Celles qui n’avaient pas été touchées par sa lumière étaient encore dans les ténèbres du « sauvage » et du « primitif » dont la colonisation allait, comme on sait, généreusement les délivrer…
A cette conception européocentrée, l’exposition en substitue une autre, plus conforme aux faits. Elle est toute de rencontres, croisements, compréhensions – et incompréhensions aussi – entre des civilisations qui n’ont cessé de se frotter les unes contre les autres. Sa seule limite est celle des collections elles-mêmes, mais leur richesse et leur diversité extrêmes sont elles-mêmes des preuves de la puissance du modèle muséal occidental.
Suivre la démonstration suppose de l’attention, car la présence de telle ou telle pièce se comprend parfois au premier regard, mais, plus souvent, en fonction d’histoires complexes et méconnues. La plus remarquable de celles-ci fait l’objet d’une salle entière, le voyage d’Homère à Macao. Le musée de Lyon conserve trois grandes tentures – près de 4 mètres de haut et plus de 5 mètres de long chacune – exécutées à Macao au début du XVIIe siècle. Tentures et non tapisseries : elles ont été réalisées selon les techniques des artisans chinois, en assemblant des tissus découpés, en brodant des fils de coton et en introduisant des parties peintes sur satin. Ces trois œuvres appartiennent à une suite de sept dont d’autres sont au Metropolitan Museum of Art de New York. Or, cet ensemble a pour sujet la guerre de Troie.
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